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En Espagne, le juge Garzon ordonne l'ouverture de la fosse où se trouvent les restes de Garcia Lorca
La famille du poète avait annoncé, en septembre, qu'elle ne s'opposerait finalement pas à l'ouverture de la fosse commune.
Après s'être déclaré compétent pour enquêter sur les "disparus" du franquisme, le juge espagnol Baltasar Garzon, de l'Audience nationale, la plus haute autorité pénale du pays, a ordonné, jeudi 16 octobre, l'ouverture de plusieurs fosses communes, dont celle où se trouvent les restes du poète Federico Garcia Lorca, entre les bourgs d'Alfacar et de Viznar, près de Grenade (sud de l'Espagne).
La famille de Garcia Lorca s'était toujours opposée à l'ouverture de cette fosse qui contient également les restes de deux toreros anarchistes. Mais elle avait annoncé, en septembre, au quotidien El Pais, qu'elle ne s'opposerait pas finalement à l'ouverture de la fosse commune. "Même si nous aimerions que cela ne se fasse pas, nous respectons le désir des autres parties impliquées", avait déclaré Laura Garcia Lorca, nièce du poète et porte-parole de la famille.
Le juge Garzon a également décidé d'autoriser l'exhumation de la dépouille mortelle du maître d'école Dioscoro Galindo exécuté en 1936, près de Grenade, par des franquistes en même temps que le poète.
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Archive : Vers la fin du mystère tragique Lorca ?
MÉMOIRE
La justice espagnole est saisie d'une demande pour ouvrir la fosse où se trouverait le corps de Garcia Lorca, tué en 1936 pendant la guerre civile. Sa famille a mis fin à son opposition
Vers la fin du mystère tragique Lorca ?
Article paru dans l'édition du 20.09.08
la mémoire de Federico Garcia Lorca et de toutes les victimes de la guerre civile ». Sous la stèle plantée parmi les oliviers, entre les bourgs d'Alfacar et de Viznar, près de Grenade, gît le poète. C'est en tout cas le lieu généralement admis de sa sépulture depuis la publication en 1971 de la biographie la plus complète qui lui ait été consacrée. L'auteur, Ian Gibson, se fonde sur les confidences d'un habitant du coin, Manuel Castilla. Adolescent, ce dernier avait été chargé de faire disparaître les corps de quatre fusillés, à l'aube du 19 août 1936. A quelques mètres près, il a désigné le ravin où il avait enterré à la va-vite, dans le même trou que le célèbre dramaturge, Dioscoro Galindo, le maître d'école d'un village voisin, le plombier Francisco Galadi et un banderillero anarchiste, Joaquin Arcollas.
Depuis, le lopin de terre est devenu le parc Federico-Garcia-Lorca, un lieu de recueillement, symbole des atrocités accomplies dans les semaines qui ont suivi le coup d'Etat franquiste du 18 juillet 1936.
Mais faut-il se fier au témoignage du petit fossoyeur, qui est l'unique indice de la présence du poète à cet endroit ? Lorsqu'il a été question, pour la première fois, d'ouvrir la fosse dans la perspective du 70e anniversaire du tragique événement, les six descendants encore vivants de Lorca s'y étaient opposés. Inutile, voire dangereux, selon eux. « Exhumer les cadavres de personnes déjà identifiées, enterrées ensuite dans des fosses communes et dont on connaît les circonstances de la mort ne pourrait que fausser l'histoire », écrivaient-ils dans une lettre commune en 2003.
Depuis quelques jours, le juge Baltasar Garzon, de l'Audience nationale, la plus haute autorité pénale du pays, a sur son bureau une requête en bonne et due forme pour l'exploration de la fosse. Nieves Galindo, la petite-fille de l'instituteur, et un parent de Francisco Galadi (le dernier supplicié, Joaquin Arcollas, est mort sans descendance) se sont rendus, vendredi 12 septembre, à Madrid, pour remettre au magistrat les documents préparés par l'Association pour la récupération de la mémoire historique (ARMH) de Grenade. « A partir d'aujourd'hui, le silence de la famille Lorca doit cesser de prévaloir », a averti Nieves Galindo, avant de pénétrer dans les locaux de l'Audience nationale.
La femme, souriante et déterminée, a apporté de vieilles photos de ce grand-père sans opinions politiques franchement marquées, « vraisemblablement tué pour une vieille rancune ». Elle a conservé la montre de gousset qu'il a laissée sur la table de la cuisine lorsque les phalangistes sont venus le chercher. Elle raconte comment son père, Antonio, âgé alors de 27 ans, tenta de suivre le camion sur son vélo, et pourquoi elle s'est aujourd'hui assigné la mission de donner à l'aïeul « une sépulture digne ».
C'est un dossier de plus pour le juge Garzon, sollicité depuis des mois par de nombreuses familles désireuses de faire la lumière sur les disparitions de leurs proches pendant la guerre civile et le franquisme. Dès le 25 juin, le magistrat avait accepté d'étudier les plaintes déposées par plusieurs associations de victimes du franquisme concernant quelque 1 200 cas documentés de disparitions. Il a franchi un pas supplémentaire le 1er septembre ( Le Monde du 5 septembre) en demandant à plusieurs administrations ainsi qu'à l'Eglise catholique espagnole d'ouvrir leurs archives, afin de dresser un véritable recensement des 30 000 disparus du franquisme.
La démarche, considérée comme « historique » par les associations de victimes, pourrait déboucher sur l'ouverture d'une enquête pénale à grande échelle. « J'ai mis tous mes espoirs dans cette initiative du juge Garzon, confie Nieves Galindo. C'est pour moi la seule issue. » Le cas de la tombe de Federico Garcia Lorca est unique, en raison de la personnalité du poète et de la fascination qu'il exerce encore chez les Espagnols, mais il ne diffère guère des dizaines de fosses déjà ouvertes à travers l'Espagne. A chaque fois affleurent les mêmes interrogations sur l'utilité d'exhumer ce passé si lointain, si proche.
Cette fois-ci, la famille du poète ne fera pas obstacle si Baltasar Garzon décide l'exhumation. « Nous ne l'empêcherons pas, a déclaré la nièce de l'écrivain, Laura Garcia Lorca, au quotidien El Pais, jeudi 18 septembre. Même si nous aimerions que cela ne se fasse pas, nous respectons le désir des autres parties impliquées. »
Les neveux du poète andalou nuancent leur attitude, mais restent partisans de ne pas déterrer le mythe qui a fait de l'intellectuel le symbole de la répression franquiste. Ian Gibson, en revanche, veut savoir où est « ré ellement » le corps et si, comme il le pense, il a été torturé avant son exécution. C'est « l'obsession de toute [sa] vie », avoue-t-il. Voilà pourquoi l'historien madrilène d'origine irlandaise accompagnait l'autre jour Nieves Galindo dans sa démarche. Le dossier remis au juge Garzon contredit pourtant ses travaux sur l'emplacement de la tombe.
Pour le responsable de l'Association pour la récupération de la mémoire historique de Grenade, Francisco Gonzales, les corps des quatre hommes pourraient être enterrés à 430 mètres à vol d'oiseau. A l'appui de cette seconde hypothèse, il produit plusieurs témoignages, dont celui d'un cuisinier qui vivait là, dans une grande bâtisse reconvertie pendant la guerre civile en centre de torture. C'est à cet endroit que les quatre victimes d'assassinat du 18 août 1936 auraient vécu leurs dernières heures, avant d'être passées par les armes et jetées en terre.
Ce cas très médiatique peut-il servir au travail de vérité que diverses associations et des familles demandent aujourd'hui au juge Baltasar Garzon ? « Mille versions circulent sur l'assassinat de Lorca et sur le lieu où il est enterré, s'agace Ian Gibson. Ce n'est bon pour personne. » Laura Garcia Lorca considère au contraire que l'on sait l'essentiel. La porte-parole de la famille redoute qu'une exhumation « tourne au spectacle ». Surtout, elle refuse que le cas de son aïeul soit désolidarisé des centaines d'autres suppliciés enterrés dans ce coin de la campagne andalouse. « Ils reposent tous dans un cimetière commun, tous ont été victimes du même assassinat sauvage et cruel, estime-t-elle. Ce ravin est sa tombe définitive, en leur compagnie. »
Pourquoi et comment est mort Federico Garcia Lorca ? A-t-il été massacré à cause de ses vers au vitriol contre la Garde civile ou bien pour son homosexualité revendiquée, ou encore en raison de jalousies provoquées par ses succès littéraires ? Sûrement a-t-il été victime d'une « conjuration des haines les plus noires » dans « le chaos qui régnait à Grenade au lendemain du soulèvement militaire, cette orgie de sang exaspérée par la peur, attisée par une soif de vengeance au sens propre démente », comme l'écrit Michel Del Castillo dans son Dictionnaire amoureux de l'Espagne (Plon, 410 pages, 22 euros).
Pour Francisco Gonzales, de l'ARMH, le poète ne doit pas rester un mort anonyme du franquisme : « Ses restes devraient être inscrits au patrimoine de l'humanité afin que chacun puisse les revendiquer. »
Jean-Jacques Bozonnet
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